Comment définiriez vous la notion d'Aïki ?

Je ne vais pas ici en faire l'historique, ni proposer une étude sur le sens des kanjis qui composent ce mot ; cela a été fait par des personnes spécialisées dans ces domaines. J'aimerais juste proposer une vision pragmatique, orientée vers les enseignants et les pratiquants.

Disons que, généralement, on traduit ce concept par "harmonisation des énergies" ou "unification des énergies". Cette notion d'Aïki est le cœur de la pratique.

Dans un cadre martial, ce concept s'exprime par la façon de recevoir puis de gérer une attaque. Respecter la notion d'Aïki, c'est faire le choix d'envisager différemment le rapport martial. Concrètement, pour la personne qui fait la technique (Tori), il va s'agir "d'accepter ce qui est", "de faire avec" puis de guider l'énergie, la dynamique de l'attaquant (Uke), vers une neutralisation.  "S’accorder" à l’attaquant demande une grande capacité d'adaptation. Cette adaptation est telle qu'il y a presque une fusion entre les deux protagonistes. Il n'y a plus qu'une seule sphère pour les deux pratiquants et Tori en est le centre (c'est un des aspects du principe d'irimi). Tout le chemin de l'aïkido nous mène vers cette recherche, cet accordage. C'est une manière tout à fait éducative de gérer la rencontre. C'est aussi le choix d'une démarche vers la non-opposition.

"En Aïkido, affronter ou éviter l'autre sont deux approches erronées, il s'agit de le rencontrer"

Concrètement, comment se déroule ce parcours vers l'harmonisation ?

On pourrait voir plusieurs étapes à cette quête.

Un premier objectif serait : rééduquer le corps et l'esprit.

Harmoniser les différentes parties de son corps pour développer une globalité d'action (ce qu'on appelle l'unité du corps). Donc passer par l'étude du centrage, de l'assise et de la mobilité, de l'utilisation de son poids, de la conscience de ses axes corporels, de la synchronisation du haut et du bas et aussi de la droite et de la gauche du corps, une recherche du relâchement, un développement de la proprioception, etc…

Une fois organisées, toutes ces capacités mèneront à une unité du corps qui remplacera la force brute, la force musculaire qui n'a pas lieu d'être en aïkido. 

Il s'agit aussi de faire un travail sur le mental qui permettra d'améliorer sa présence, son écoute, sa disponibilité et donc sa capacité d'adaptation. Atteindre une vacuité mentale, un calme qui permettra de faire de la place à l'autre dans notre esprit.

Enfin, unifier l'un et l'autre, le corps et l'esprit. Qu'il n'y ait plus de décalage entre l'intention et l’action ; le mouvement corporel devient l'expression immédiate de l'intention.

Un second objectif concernerait la relation au partenaire. 

Cela consiste à utiliser les capacités précédemment citées, tant physiques que mentales, pour s'harmoniser à l'attaquant : faire concorder les directions de nos mouvements, de nos actions, avec celles de Uke, s’intégrer à son rythme, accorder les intentions et, enfin, s'adapter à tout changement, à toute évolution.

Il va donc s'agir de développer une écoute complète de l'attaquant, afin de s'y adapter ; de se forger un esprit calme, disponible, qui permet d'atteindre un état de non-faire, de non-rivalité et ainsi d'aller vers la non-opposition.

"Être suffisamment présent, disponible et serein pour réaliser la technique qui s'impose d'elle-même et non pas celle que l'on a décidée". 

Lors de ce cheminement, quelles sont les difficultés que l'on va rencontrer ?

La principale difficulté pour être dans un état de non opposition, est sans doute son inverse : le réflexe d'opposition (qui fait partie des réflexes de survie, reflexe primaire certes, mais réaction simple et efficace). Force est de constater que celui-ci nous est spontané… Mais s'il apporte de rapides résultats, il nous met immédiatement dans un rapport de force avec notre partenaire ; il nous plonge dans une rivalité, dans une dualité gagnant/perdant. S’ajoutent aussi les difficultés qui viennent de l'envie de gagner, du désir de dominer, du "vouloir faire", de l'excès de volonté, de l'esprit de compétition ... Peut-être au travers de tous ces éléments, un besoin de se rassurer ; en tout cas, les obstacles sont multiples … 

La notion d'Aïki, elle, propose de nous enrichir de la rencontre, de nous construire dans la rencontre, dans une relation "gagnant/gagnant". "Être avec" plutôt que "aller contre". C'est une véritable rééducation mentale, qui, si elle est difficilement accessible, nous enrichit dès que l'on y goûte ...

Utiliser la situation la plus conflictuelle qui soit (une attaque physique) pour en faire un moment de recherche d'harmonisation, tel est le propos de l'aïkido.

Une utopie certes, mais une merveilleuse utopie. 

Comment, d'après vous, se situe le côté "martial" de l'aïkido dans ce cadre ?

Si la notion d'Aïki est le cœur de la pratique, l'aspect martial en est le contexte.

C'est un élément essentiel, mais ce n'est pas le principal. Cet aspect martial va justifier en partie la gestuelle, les situations de travail, les objectifs techniques. Aussi rigoureux et réaliste qu’il puisse être, c'est le cadre dans lequel nous travaillons, mais ce n'est pas la finalité. Comme son nom l'indique, l'aïkido est un "do", pas un "jutsu", c’est-à-dire une voie d’évolution, d’accomplissement, au travers d’une pratique martiale, pas une technique n’ayant que le combat comme objectif. 

Alors, quel rôle prend l'attaquant pour cette recherche ?

Uke est bien sûr l'élément clef de cette recherche, puisque c'est lui qui va provoquer la situation de travail. Tout s'organise autour de ce qu'il donne et il faudra s'y adapter.

Il se doit d'être engagé dans son attaque, précis sur ses distances, capable de rester attaquant jusqu'au bout du mouvement. Il se devra d'être spontané, vivant et réactif. De tout cela dépend le travail de Tori. Si Uke est hyper codifié, formaté dans ses réactions, son partenaire ne sera jamais surpris, tout se passera comme il l'avait décidé par avance. Si le Uke n'est pas présent, la rencontre se fera à sens unique. S'il est trop conciliant, Tori n'aura pas matière à travailler : comment s'adapter à quelqu'un qui est d'accord avec tout ?

C'est la spontanéité de Uke qui va permettre à Tori de mettre en applications les capacités dont nous parlions. On pourrait dire que ce sont les opportunités de l'inconnu qui donnent sa richesse à la rencontre.

"Bienheureuse incertitude" … 

Auriez-vous une recommandation à faire pour terminer ?

De façon générale, Il me semble qu’il nous serait à tous bénéfique de faire une relecture de notre pratique. Pour chacune des formes techniques que l’on réalise, demandons-nous : « en quoi est-elle respectueuse du principe Aïki ? »

Joël Roche c.n. 7°dan D.F.R. Pays de Loire

Pouvez-vous nous préciser ce que l’on entend par «armes» dans notre discipline?

En Aïkido, la pratique des armes peut se diviser en deux catégories : soit l’un des deux partenaires a une arme (ken, jo, tanto) et l’autre est à mains nues, soit les deux partenaires sont équipés de la même arme (ken ou jo). Cette première catégorie (armes/mains nues) déclinée en jo dori, jo nage waza, tachi dori, tanto dori, semble être un prolongement du travail à mains nues : les techniques, quasiment les mêmes; sont bien sûr adaptées, ajustées, et laccent est mis sur le contrôle de larme, mais sur le fond il ny aura pas de grand changement par rapport au travail sans arme. Pour la deuxième catégorie (armes/armes), la forme est bien spécifique : il y un allongement de la distance, le timing est plus «serré», la durée d’échange beaucoup plus courte.

En général il y a absence de contact physique direct avec le/la partenaire. Le risque est plus important, plus immédiat, ce qui amène à développer une grande présence. La forme peut donc paraître différente par rapport au travail à mains nues, mais les principes techniques, les principes mécaniques sont les mêmes. Les gestuelles sont souvent très proches, les structures des mouvements, la construction des techniques sont similaires ainsi que les valeurs engagées.  L'un des intérêts de cette pratique est donc d’expérimenter les principes exploités lors du travail à mains nues, mais dans une autre situation (principe de variabilité). La forme change, mais la finalité du travail est la même. Cette finalité est d’ailleurs un réel paradoxe; il sagit de chercher à sharmoniser avec lautre alors quon le rencontre dans la situation la plus difficile qui soit : l’affrontement. Que cela soit avec ou sans arme change en fait peu de choses.

Est-on capable de parvenir à cette sagesse, à cette belle utopie?

Je n’en sais rien. Ce dont je suis sûr, c’est qu’à partir du moment où l’on entre sur ce chemin, ce do, notre regard sur l’opposition change complètement.

Dans vos cours d’armes, vous parlez souvent des «classiques», quest-ce cela signifie?

Le contenu technique de la deuxième catégorie (armes/armes) est lié, bien sûr, à l’histoire de notre fédération, à son lien avec l’Aïkikaï, et aussi aux parcours personnels des anciens de notre groupe. Les principales références du travail armes/armes dans notre fédération sont l’aïki-ken et l’ aïki-jo (Saïto Sensei), et l’école Kashima Shin Ryu (lignée kunii Sensei, Inaba Sensei).

Citons quelques-uns des différents maîtres japonais qui nous ont influencés pour la pratique des armes  : Tamura Sensei, Chiba Sensei, Nishio Sensei, Saotome Sensei (Kumi-Aï)…

Toutes ces influences nous amènent à une situation étonnante où le répertoire est vaste, riche mais pas clairement défini (contrairement au travail à mains nues). Ce léger flou a pour avantage de ne pas figer le répertoire, et il est à même d’évoluer au fil des années. Néanmoins, depuis une bonne soixantaine d’années de pratique de l’Aïkido en France, il y a un fonds commun d’exercices aux armes, d’échanges, qui se dégage et que l’on retrouve dans les passages de grades : c’est ce que j’appelle «les classiques». En fait, cest lusage qui définit le répertoire.

En quoi les armes font elles historiquement partie de l’Aïkido?

Durant toute sa vie O Sensei a pratiqué les armes (sabre, bâton, lance et même l’éventail…). Cela a profondément participé au processus de création de l’Aïkido. Il semble que dans son enseignement, il faisait très régulièrement référence à celles-ci. Étudier en parallèle l’Aïkido avec et sans armes, c’est refaire un petit bout du chemin qui a mené à la création de notre discipline, c’est élargir sa vision, trouver des ponts.

La construction d’un mouvement d’arme est-elle identique à celle d’un mouvement à mains nues?

Même si la forme peut changer, la logique de construction reste la même. Il y a d’abord une phase de placement où l’on va chercher à esquiver, à se placer à un endroit favorable (en sortant de la ligne d’attaque - le ken sen - ou en y restant, mais en avançant o  en reculant). Ensuite ce sera la phase de déstabilisation de l’attaque, où l’on va chercher à arrêter, amortir, dévier l’arme (par un balayage, une absorption) et/ou perturber, ralentir, arrêter l’attaquant-e (par une menace sur son axe, un jeu de rythme). Dernière phase, afin d’annihiler toute possibilité d’une nouvelle attaque, on va rechercher un contrôle effectif du/de la partenaire (par une coupe ou une pique - potentielle bien sûr). Tout cela se doit d’être réalisé avec un contrôle permanent du ken sen et/ou de l’axe de l’attaquant-e et effectué sans temps mort. Avec la maîtrise, ces trois phases ou bien se succèdent, ou bien deviennent simultanées, selon les mouvements ou l’intention qu’on leur donne. Comme à mains nues, cette notion de construction est aussi valable pour Uke; il va construire son attaque : chercher une distance de départ où il nest pas en danger, trouver une distance darrivée qui lui permette un impact sur le corps de Tori. Il devra s’engager dans son action mais aussi être capable de changer son intention si le contrôle de Tori le met en danger. Travailler cette construction avec ou sans armes permet d’affiner sa compréhension des techniques.

Qu’appelez-vous unité corps/armes?

Depuis que je pratique l’Aïkido, j’entends dire que les armes sont le prolongement du corps. L’idée est à la fois simple et complexe : il s’agit d’intégrer l’arme au schéma corporel. De même que corps et esprit se doivent d’être unifiés, le corps et l’arme ne doivent faire qu’un. Cela va passer par la façon de saisir l’arme sans casser les lignes de force, de maintenir plutôt que de tenir. Cela demandera aussi tout un travail de synchronisation entre les déplacements et les gestes de frappe, coupe, pique. Le travail du relâché participe à cette unité, comme à mains nues; «vider» les bras va permettre de trouver la puissance dans le bassin, les hanches, le centre. Si les épaules sont relâchées et le poids du corps engagé, le poids va «passer» dans larme et apporter une grande puissance à limpact. Il va aussi sagir de faire coïncider les directions, lorientation du corps et de larme. Il résulte de ce travail une amélioration du potentiel corporel, une unité, une harmonie entre le corps et l’arme. Harmonie entre soi et un objet extérieur à soi. Peut-être est-ce une première étape vers l’harmonie avec, non plus un objet, mais un être vivant extérieur à soi : le/la partenaire…

Vous parlez d’harmonie avec le/la partenaire : comment cela s’exprime-t-il?

Comme dans le travail à mains nues, il s’agit de s’harmoniser à l’attaquant-e; de sy accorder. Accorder les trajectoires des mouvements, accorder les rythmes des actions, accorder les intentions Cest une recherche qui nous permet d’affûter notre écoute du/de la partenaire, de développer une présence à soi, à l’autre, une vigilance martiale (zanshin), d’affiner notre perception (tout particulièrement le travail du contact au travers des sabres), de cultiver un respect de l’autre.

Le Collège technique national a mis en place une commission chargée du développement et de l’amélioration du travail des armes, dont vous êtes le pilote. Qu’en est-il?    

Plusieurs axes sont envisagés :

• Améliorer la communication autour des armes, en faire ressortir les intérêts, redonner du sens (cette interview, je l’espère, y participe…).

• Augmenter et systématiser les situations de travail des armes. S’ils ne le font pas déjà, demander aux animateurs de stages régionaux ou nationaux et autres préparations de grades d’intégrer systématiquement les armes dans leurs formations. Formations techniques bien sûr mais aussi pédagogiques (écoles des cadres, stage à l’évaluation…)

• Proposer aux Ligues qui le souhaitent des animations «spécialisées armes» en partie technique et en partie pédagogique

• Produire des documents pédagogiques pour apporter une aide aux enseignant-e-s qui en ont besoin. À ce propos, vous trouverez sur le site de mon club (www.aikidocroixblanche.fr) des vidéos d’armes en accès libre qui peuvent être une aide technique.

• Proposer à la C.S.D.G.E. de faire évoluer le règlement. L’idée serait de faire passer l’évaluation des armes/armes des deux niveaux actuels à quatre. En effet le travail armes/armes n’apparait qu’au troisième dan. En commençant dès le premier dan, cela apporterait une meilleure progressivité pour l’évaluation. Ce peut aussi être une incitation à démarrer plus tôt l’étude des armes.

Quelques précautions pédagogiques à respecter lors de l’enseignement des armes?    

• Avant tout, poser une attention toute particulière à la sécurité et à l’état d’esprit (kimochi).

• Présenter les armes en lien avec le travail à mains nues. Entre autres bénéfices, cette présentation peut être intégrée lors d’un cours «à mains nues» (cest ainsi un outil pédagogique supplémentaire qui s’intègre dans la temporalité du cours).

• Afin de ne pas rendre l’étude rébarbative, éviter de se limiter à des tsuburis, mais aussi inclure des exercices à deux (éducatifs, échanges).     

• Si on fait appel à d’autres techniques que celles du répertoire classique, s’assurer qu’on les réalise dans une démarche «Aïkï»

• Attention au vocabulaire. Le travail avec ken induit la notion de coupe tandis que le travail avec jo induit la notion de frappe

• Ne pas négliger le Reïshiki spécifique aux armes; il participe à la présence, au respect et à la sécurité.

• Les deux situations faisant partie intégrante de l’Aïkido, éviter de parler de lien «armes/Aïkido» mais parler de lien «armes/mains nues »

Sortir de l’idée que les armes sont réservées aux pratiquant-e-s avancé-e-s. En effet, le travail des armes ne proposant quasiment pas de contact corporel, le poids, la taille, la puissance n’entrent pas en ligne de compte; ne reste plus quun rapport de placement, de timing (situation de travail peut-être même plus accessible que celle du travail à mains nues). À condition d’e rester vigilant sur la sécurité et l’état d’esprit (utilisation de l’espace, calme, contrôle gestuel, etc.) rien n’empêche de faire pratiquer les armes aux enfants. : ils adorent!...

La recherche que propose l’aïkido est vaste et engendre de nombreuses questions.

Différents vécus, différents regards, différentes visions ...
A force de pratiquer, à force d’observer, on finit par croire que l’on a des choses à dire !...
C’est ce qui m’a amené à rédiger quelques éléments de réponses qui n’ont d’autres ambitions que d’être le reflet d’un point de vue parmi d’autres.
Voilà ...
 
Nous avons tous en nous des images, des idées qui nous habitent, nous mènent, nourrissent notre imaginaire, et nous font rêver ...
Il s’agit ensuite de trouver des portes d'accès ( Do ? ).
Ayant commencé l’Aïkido trop tard pour avoir eu la chance de connaître O. Senseï, j’ai pu cependant rencontrer des maîtres japonais, parmi lesquels deux m’ont particulièrement touché. Les voir pratiquer me laisse des images, des sensations corporelles, qui perdurent, qui m’imprègnent. Ils incarnent la réalisation de nouveaux possibles.
Chez Yamaguchi Senseï, une fantastique liberté corporelle et mentale, une incroyable perception du partenaire avec lequel il paraissait jouer. Il semblait ne plus considérer l’attaque que comme un point d'accès au partenaire... L’attaquant devenait alors, un champ d’expérimentation sans cesse renouvelé., un terrain de découverte...
Il disait à propos du point de contact, que : « dans tout mouvement d'aïkido il y a toujours un point fixe ... qui se déplace ». Je le vois comme une clef de lecture, qui sous tend un travail sur le centrage, l’écoute, l’adaptation , l’harmonisation ...Une clef qui donne à chercher ...
Chez Endo Senseï , cette même impression de liberté et de naturel, s’exprimant dans le calme, le plaisir de la pratique. Un des éléments qui le caractérise est certainement le relâchement !
Il dit, par exemple, que sur une attaque très contraignante comme katate ryote dori, faire descendre les points de saisie se fait par « La pure expression d’une simple extension vers le bas » ...Cela donne à rêver sur les possibles de l’unité du corps.
Des rencontres, des images, des sensations, des phrases comme celles-ci, cohabitent en nous et nous colorent.
Elles entretiennent l’envie de recherche, donnent des directions de travail.
Directions de travail, porteuses de valeurs ... qu’il va s’agir ensuite de développer dans sa pratique et de faire passer dans son enseignement...
 
L'UNITE DU CORPS
 
L'unité du corps demande, d'organiser celui-ci de telle façon que, chaque partie concourt à la réalisation du mouvement. "La racine des pieds, la maîtrise dans la taille et l'épanouissement dans les doigts" Li Guang-Hua.  
Faire un travail sur l'unité corporelle cela passe, avant tout, par l'écoute de son corps.
Respecter l'architecture fonctionnelle du corps, des articulations, relation entre bassin / centre de gravité et points d'appuis.
Relâcher les tensions musculaires inutiles - épaules, coudes, genoux ...
Laisser s'exprimer les grandes alternances qui créent le rythme - tension/relâchement, vide/plein, inspire/expire, haut/bas ..., laisser se faire les échanges - avant/arrière, droite/gauche, changement de hammis ...
Le respect de ces principes corporels permet de donner la dynamique et l'amplitude au mouvement et, par-là même, de le rendre plus efficace.
L'attention investie dans ce travail amène à développer la présence.
"Le geste spontané ne peut s'acquérir que par le non-faire et le non-vouloir" O Senseï.
Il est intéressant de noter que dès l'an 1400, on parle des six accords, dans les textes classiques du Taïchi (pratique martiale chinoise dont les principes ont été formulés durant la dynastie Ming - 1368/1644) :
  • Le cœur en accord avec l'intention,
  • L'intention en accord avec le souffle,
  • Le souffle en accord avec l'énergie,
  • La main en accord avec le pied,
  • Le coude en accord avec le genou,
  • L'épaule en accord avec la hanche.
Recherche d'unité...
Et, paradoxalement, plus on est à l'écoute de soi, plus on est à l'écoute de l'Autre.
 
DANS QUEL ETAT D'ESPRIT ABORDER UN COURS D’AÏKIDO ?
 
O Senseï demandait à ses élèves, « d'être une feuille de papier vierge sur laquelle il écrirait le mot aïkido ... ».
Dans la pratique de Za Zen, il est conseillé de vider la coupe avant même d’envisager de vouloir la remplir.
Tout apprentissage, tout perfectionnement demande un esprit d’ouverture, une envie, une soif ..
Laisser s’ouvrir devant soi tout ce qui peut nourrir...
Cela va passer par laisser tomber les vieux démons : les certitudes, les rivalités, les refus, la peur de la différence ...
Chercher à développer un état de réceptivité physique et mentale, être dans un état d’imprégnation (comme un papier buvard absorbant une tache d’encre), état qui permet d’inscrire en profondeur des compréhensions ( lesquelles ne resurgissent parfois que dix ans plus tard ... mais bon !... ).
Cultiver l’émulation de la découverte, le plaisir du corps en mouvement ( comme la joie de l’enfant de deux ans découvrant que son corps peut courir, sauter, rouler ... est riche de possibles !)
S’enrichir de la rencontre de l’autre, au travers des différences et des similitudes.
Bref se transformer...
« Transformer le souci en souci de la transformation » A. Mainvielle - musicien
Dans cette démarche, être chercheur ... et le rester !...
Chercher, sans doute est-ce simplement être curieux, se poser des questions, aller là où l’on ne va pas forcément le plus naturellement et le plus facilement ...
Rester chercheur c’est ne rien considérer comme acquis ( bienheureuse insécurité ...)
Considérer ce que l’on fait, et se poser des questions : pourquoi le fait-on comme ça ? comment pourrait-on le faire autrement ? En quoi est-on en accord avec les principes naturels qui nous régissent ?
Au fur et à mesure, des structures, des compréhensions, se mettent en place dans notre pratique.
Mais le danger est de se satisfaire d’un travail trop formel, hyper codifié, constitué de répétitions systématiques, mécaniques. Travail gratifiant et sécurisant certes, mais qui risque de nous éloigner de la recherche de présence, d’écoute envers soi-même et envers l’autre.
Chaque moment se devrait d’être unique, une création de l’instant, non reproductible.
« le secret de l’aïki est tout simple, il s’agit d’être présent au présent » O. Senseï 
 
IMPORTANCE DU RÔLE DE UKE ...
 
Considérons une quelconque technique et regardons la.
Elle va naître, puis se développer selon une trajectoire. Cela engendre un espace qui prend bien souvent la forme d’une sphère.
C’est un tout ...
Imaginons cette sphère en train de se déplacer, de rouler. Le haut et le bas vont prendre la place l’un de l’autre, s’inverser dans une parfaite continuité, dans un échange fluide.
Chacune des deux parties n’est que moitié de l’ensemble et ces deux éléments créent un tout qui existe en lui-même.
Ainsi, en Aïkido, les techniques sont toujours explorées alternativement sous deux angles: celui de Tori et celui de Uke.
Chacun peut devenir explorateur d’une partie de la technique, d’une partie de l’échange.
Ce sont deux « point de vues », deux regards complémentaires...pour chacun desquels nous consacrons une part égale de temps de pratique ...
« L’attaque et la défense sont des alternances du Yin et du Yang » O Senseï
 
LES ARMES ...
 
Durant toute sa vie O Senseï a pratiqué les armes. Ce qui a participé, par là même, au processus de création de l'aïkido.
Étudier en parallèle l’Aïkido avec et sans armes, c’est refaire un petit bout du chemin qui a mené à notre discipline, c’est élargir sa vision, trouver des ponts.
C’est aussi, à mon sens, se donner une situation supplémentaire d’expérimenter les principes qui régissent l'aïkido
Prenons en exemple ryote dori / tenchi nage : Que se passe-t-il pour Tori ?
Le centre à partir des points d’appuis, crée une spirale. Celle ci engendre une dynamique à l’intérieur du corps de Tori. Cette dynamique va être transmise au partenaire au travers des points de saisies. Ce qui va intégrer le Uke dans la spirale, le déstabiliser puis le projeter .
Si l’on a une arme dans les mains, la dynamique va se transmettre dans l’arme, passer par le point de contact (ou d’impact ) dans l’arme du partenaire, se répercuter dans son corps et sur ses appuis. Ce qui permet, par exemple, de balayer une attaque et de piquer avec un Jo ( gaeshi tsuki )
Les applications sont différentes, mais le principe mis en action est le même: la spirale.
On peut dire que le mouvement part du sol, se développe dans le corps, passe dans l’arme et se répercute chez le partenaire.
Le développement des cercles, la concentration du triangle, la notion de contact ...peuvent s’illustrer de la même façon. « Entrez sous le signe du triangle, réalisez le mouvement suivant la technique du cercle puis contrôlez en conduisant vers le bas sous le signe du carré ... » O Sensei
Si nous sommes théoriquement d’accord pour dire que l’arme est le prolongement du corps, par conséquent, pourquoi ne pas utiliser l’arme pour travailler ce corps ?
De plus, l’arme a sa propre originalité; si elle est intégrée à la gestuelle, à la dynamique, elle concrétise les notions d’axes, de lignes, de plans, d’alignement, et rend subtile la notion de contact.
La pratique des armes est un moment où le travail de l’intention demande plus de rigueur et de présence. Intention sans laquelle l’échange se vide de sa substance, de son sens.
Et surtout, les armes sont complémentaires au travail à mains nues, car elles créent une situation où les rapports de temps, de vision, et de placement prédominent, une situation où la vigilance et l’urgence sont accrues, une situation où puissance et poids ne sont plus un handicap.
 
LE RYTHME ... 
 
Être à l’écoute du partenaire, suppose de connaître et de respecter notre rythme et celui de l’autre.
Mouvements fluides, saccadées, chaotiques ... Se déroulant lentement, rapidement... avec ou sans accélération, avec ou sans suspension ...
Le rythme, naît de l’alternance.
Le corps, lui même, est déjà dans les alternances ( inspiration-expiration, flexion-extension, tension-relâchement, compression-expansion ... )
Pour être « en rythme », il va falloir les percevoir et les laisser s’exprimer, en libérant le corps de l’inutile.
L’inutile, c’est tout ce qui freine le rythme dans son écoulement ( raideurs, volonté ...)
Le rythme est donc là, quelque part en nous. Avec le temps et l’expérience, il se régularise, il se fluidifie.
Il est aussi là dans la rencontre des forces. Par la recherche de réponses aux diverses propositions rythmiques de nos partenaires, nous le rendons malléable.
Plus il devient solide et ancré à l’intérieur de nous même, moins il est perturbé par l’attaquant puisqu’il s’adapte à celui-ci.
Espoir d’atteindre au calme ...
Parmi les techniques d'Aïkido, les kokyu nage illustrent parfaitement la notion de rythme. En effet, dans ces techniques, il y a absence de contrainte articulaire. Le déséquilibre du partenaire est obtenu presque uniquement par des jeux rythmiques : accélérer ( impulser )ou ralentir ( calmer ) l’attaquant, l’aspirer en devançant le temps ( anacrouse ), créer un vide, une suspension ( silence ) ...
Rythme personnel, rythme de l’échange et aussi rythme du groupe.
Ce rythme d’ensemble devient évident dans tous les moments où l’on est à l’unisson ( Respirations, kiais, déplacements, tsuburis ...). Il crée une dynamique commune, porteuse de puissance et d’énergie
Les percussions pendant un cours, d’armes par exemple, génèrent une dynamisation et sont un fabuleux outil pour concrétiser la régularité du rythme corporel. 
« Le mouvement doit être effectué sans arrêt ni stagnation, vous devez simplement respecter le rythme, en devenant l’axe de votre propre sphère » O Senseï

LA NON-OPPOSITION ...

Que ce soit à un niveau collectif ou individuel, que ce soit à l’échelle d’un pays ou d’une personne, le conflit est omniprésent Il peut mener aux pires débordements, aux pires horreurs. Mais il peut aussi être créateur car il est générateur de force, de puissance et d’énergie. Il est considéré par les «psys» comme un facteur constitutif de l'être humain.
S’il est fui ou s’il est écrasé dans l’œuf, celui-ci ne pourra s’exprimer. Il restera latent et resurgira à la moindre sollicitation.
Le réflexe d’opposition ( inné ? ), va engendrer une situation dualiste, dans laquelle deux forces se confrontent et cherchent à se dominer. Il en résulte un gagnant et un perdant. Restera le ressentiment ...
L'aïkido nous propose d’accepter le conflit, de le vivre. Les deux partenaires peuvent en faire un outil de construction sans victoire ni défaite.
Démarche vers la non-opposition ...
«affronter ou éviter l’autre sont deux approches erronées, il s’agit de se rencontrer.»
 
... ET A L'ECHELLE DE LA PRATIQUE ...
 
Concrètement, l'aïkido propose de gérer de façon harmonieuse la rencontre des forces.
Ainsi, prenons une situation des plus classique, dont le schéma se retrouve dans beaucoup de techniques : katate dori / tenkan. -
On va à la rencontre du partenaire ( Irimi - aller vers ), puis on pivote en prolongeant (Tenkan - contourner) pour que les deux forces soient dans la même direction
C’est tout simple mais pour aller dans le sens de la force, il faudra d’abord accepter l’attaque ( relâcher le corps et le mental et être à l’écoute du partenaire par l'intermédiaire de la saisie ).
Puis il faudra se placer par rapport à ce point de contact ( donc se conformer à quelque chose d’extérieur à soi, de préexistant ), s’y adapter.
Être à l’écoute, s’adapter à l’autre. Accepter ce qui est et accepter que cela évolue.
Autant de techniques, autant de partenaires, autant d’occasions d’expérimenter corporellement la réalité de notre progression ...
Être dans le non-faire, ce serait à l’instant de la rencontre, ne pas appliquer la technique que l’on veut faire, mais être au service de la technique qui s’impose d’elle -même... « agir en n’agissant pas » ( Bhagavad Gita ).
Être dans le non-faire, ce serait construire le mouvement à partir de ce qui est, là, maintenant .
Mais nous sommes aussi dans : « être plus fort, dominer, vouloir, contrer, prendre ... » caractéristiques de l’opposition.( les gros mots de l'aïkido ? ).
Entre ce qu’on attend de l’autre et ce qu’il est réellement d’une part et les limites de nos propres capacités d’autre part, les occasions d’oppositions sont nombreuses !
A nous de gérer les éventuelles contradictions ... 
« alors qu’un attaquant cherche à vous frapper, être si détaché de la peur, du vouloir, de l’envie de vaincre que l’attaquant ne trouve en vous qu’une complémentarité parfaite qui l’accepte, le reçoit et par là même le neutralise totalement ».
« ... prendre l’attaquant dans son coeur » - O Senseï.
 
Merveilleuse utopie ?
Comment imaginer atteindre un tel idéal ?
Mais bon ! ... l'essentiel est l'élan dans lequel il nous met. Cette démarche nous donne l'occasion de nous affiner, de nous confronter à nos difficultés.

L'ASPECT UNIVERSEL DE L'AÏKIDO

Je pense ne pas prendre trop de risque en disant que nous vivons sur la planète Terre .
Or, il n’est pas inintéressant de se rappeler que celle-ci est régie par les lois de la nature, quelles soient physiques, biologiques, chimiques ...
« Tout mouvement n’est qu’agitation s’il n’est pas relié à celui des astres. »
La méthode aïki a été développée, par O Senseï, en respect de ces lois naturelles.
Par conséquence les techniques sont porteuses des principes qui les régissent, et leur exploration constitue un moyen de ressourcement. Pratiquer l'aïkido c’est tenter de se remettre en accord avec ces lois et ainsi de se re-lier à l’univers qui nous entoure.
Ainsi, Irimi est, entre autre, une expression des forces centrifuges - centripètes : Tori cherche, prend et garde le centre de l’espace commun, ce qui engendre chez le Uke une accélération à la périphérie de la sphère.
L’assise, la stabilité et par voie de conséquence le déséquilibre sont, bien sûr, l’expression de la force de gravitation.
Tori cherche à exploiter cette force, pour développer une stabilité ( par le centrage, le relâchement, la mobilité, les appuis...)
On pourrait aussi dire que déséquilibrer Uke, c’est enlever dans son corps tout ce qui s’oppose à l’expression de la force de gravitation : ses appuis.
C’est aussi la découverte et l'intégration des propriétés physiques et symboliques des triangles ( kurai tachi, shiho nage ... ), des cercles ( hasso gaeshi, kaiten nage ...), des spirales ( gaeshi tsuki, kote gaeshi...), des tangentes ...
C’est la redécouverte du principe d’économie. L’eau qui arrive sur un obstacle solide, le contourne naturellement plutôt que de s’y opposer. Ainsi en aïkido, lors d’une saisie très puissante, le relâchement du bras - utilisation d’un minimum d’énergie - rend possible le contournement du point de saisie.
Le respect des principes naturels permet d’optimiser sa technique et de la rendre plus efficace.
Se mettre en accord avec ce naturel, est souvent de l’ordre du lâcher prise bien plus que du domaine de l’acquisition.
« L’universel, c’est le local moins les murs ».
Prendre conscience de ces aspects universels, les expérimenter et les ressentir dans le corps en mouvement est, je pense, une source d’équilibre physique et mental.
C’est l’occasion de se relier aux forces de la nature, de se ré-accorder.
De même qu’il y a un bien être dans le mouvement, il y a un bien être à se sentir relié au monde dont on fait parti, et aux personnes qui nous entourent.
 
« l'Aïkido est la réalisation corporelle du principe de l’Unité de tous les êtres » O Senseï
 
L'ENSEIGNEMENT ...
 
Enseigner l’Aïkido, c’est partager et transmettre ce que l’on aime.
Enseigner, c’est aussi créer une dynamique qui va emmener les pratiquants dans un élan, dans le plaisir de la découverte, puis de la recherche. C’est générer un climat .
La pédagogie est l’outil qui va permettre d’organiser l’apprentissage de l'aïkido.
Le premier souci de l’enseignant, c’est certainement d’amener le pratiquant à l’autonomie.
Autonomie donnée par l’étude, la compréhension puis l’appropriation des techniques, en tant qu’acteur et non consommateur.
Donner un sens à la pratique. Qu’est-ce qui permet le mouvement, Qu’est ce qui l’anime ?, Qu’est-ce qui le justifie ? Quand devient -il incohérent ? A quoi cela nous conduit-il ?...
« enseigner n’est pas remplir une coupe, c’est allumer une flamme ».
Mais les tentations sont nombreuses ...
Enseigner n’est pas imposer une image de soi même, mais donner de multiples situations d'expérimentation. Enseigner n’est pas se poser en référence absolue, mais développer un esprit d’ouverture. Éviter de tomber dans un propos abstrait, ésotérique, mais à partir de la pratique, et en cohérence avec celle-ci, construire son discours. Esquiver le doucereux piège d’une vérité unique, par un regard critique sur sa pratique.
Avec son regard, sa sensibilité, à la mesure du développement atteint, et selon son expérience, l’enseignant propose des clefs, amène à faire des ponts, ouvre des portes, des possibles ...
Ainsi, participe à la transmission.
 
D'AUTRE PART ...
 
Un grand nombre de personnes participe à notre chemin... après 28 ans de pratique, je voudrais profiter de l'occasion qui m'est donnée pour remercier trois personnes qui ont été pour moi des rencontres déterminantes : Daniel Jotereau par qui j'ai entre-aperçu la richesse de notre discipline ; Christian Tissier qui m'a permis de structurer et de donner un sens martial à ma pratique ; et Franck Noël avec qui j'ai compris que les formes techniques sont des outils de façonnage et que l'on se construit au travers de la rencontre.
Et aussi mes élèves ...
 
 
 
 
 
 

 

Aller au haut